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Media Insider

11 mars 2007

Le magazine C n'est pas un cadeau

Hier, j'ai été le témoin d'une scène proprement ahurissante.

Trois hommes. Le premier, un orateur, vient de réunir quelques personnes dans un square pour discuter de politique intérieure. Nous l'appellerons Monsieur B. Le second, Monsieur J, accompagné de Monsieur P, photographe, se présente à Monsieur B en qualité de journaliste.

Monsieur J fait savoir à Monsieur B qu'il souhaite lui poser deux ou trois questions. "Pour qui travaillez-vous ?", demande Monsieur B. Monsieur J de répondre en fixant les yeux de Monsieur B : "Je travaille pour le magazine C". Un magazine honni par les journalistes et peu apprécié par une partie de la population, dont le fonds de commerce est de publier tout ce qui ne passe pas ailleurs, à savoir "l'enfer" [1], et en particulier les photographies les plus vulgaires, les plus amorales, les plus sanglantes et les plus crues.
Le nom du magazine surprend Monsieur B : "Vous travaillez pour C ?", s'étonne-t-il. Monsieur J confirme, en ajoutant : "Je suis un ancien du journal L" [2]. Une réponse parfaitement rodée qui a visiblement pour objectif de rassurer Monsieur B, qui lève les yeux et semble se poser des questions.

Dans son désir de couper court à toute hésitation, Monsieur J revient à la charge en pressant son interlocuteur de répondre à "trois questions rapides". Monsieur B hésite. Selon lui, le magazine C n'est pas très recommandable, mais il avoue ne pas vraiment le connaître, pour ne jamais avoir eu l'occasion de le lire. De plus en plus hésitant, Monsieur B interpelle ses amis ou connaissances alentour pour leur demander leur avis : "Vous connaissez le magazine C ?" Un brin de nervosité s'empare de Monsieur J, qui essaie tant bien que mal de se contenir. Le magazine pour lequel travaille Monsieur J n'est décidément pas en odeur de sainteté dans l'esprit des personnes présentes, qui évoquent d'emblée un magazine "trash".

Monsieur J se montre de plus en plus pressant et hausse même le ton. Son regard noir essaie de transpercer les yeux désemparés de Monsieur B. Pour s'en sortir, convaincre son interlocuteur de lui accorder un entretien et surtout essayer de lui faire avaler la pilule, Monsieur J utilise maintenant l'extension "ado", qu'il emploie greffée derrière le nom du magazine qu'il représente [3]. Acculé par la présence physique (Monsieur J toise Monsieur B) et l'empressement du journaliste, Monsieur B ne se laisse pas pour autant démonter, et dit ouvertement à l'intervieweur qu'il n'est pas tout à fait sûr d'avoir envie de répondre à ses questions.

Furieux, Monsieur J monte au créneau, de plus en plus énervé. Quand Monsieur B laisse entendre que le magazine C ne fait pas bien son travail, Monsieur J réplique aussi sec : "Parce que selon vous, les autres journaux font bien leur travail ?" Sous-entendu : vous savez pertinnement que la presse écrite ne travaille pas correctement, nous, nous ne prétendons pas être plus intègres que nos confrères, donc je ne comprends pas pourquoi vous ne souhaitez pas répondre à nos questions, dans la mesure où nous sommes finalement un magazine comme un autre, ni pire ni moins bon, et finalement tout aussi consciencieux.

Des perles de sueur naissent sur le front de Monsieur B, qui hésite encore, semble manquer d'air et d'arguments pour se défendre. A deux doigts de capituler, bien que demeurant à la fois vaillant et vigilant vis-à-vis d'un journaliste agressif dans ses propos, Monsieur B exprime le droit de ne pas vouloir répondre aux questions du magazine C, et, dans le même temps, d'être éventuellement prêt à y répondre, pourvu que "vous fassiez bien votre travail".
Très méprisant et véxé dans son amour propre autant qu'excédé, Monsieur J, monte soudain sur ces grands chevaux en fustigeant Monsieur B, qui vient sans doute de commettre l'irréparable erreur de douter de la qualité de son travail, sans même en avoir connaissance, en tentant de le culpabiliser (pauvre Monsieur J, qui s'est déplacé pour rien, en compagnie de son photographe, mutique et lançant lui aussi des regards assassins en direction de Monsieur B, donc approuvant le comportement odieux de Monsieur J) et de le faire passer pour un schizophrène : "Vous vous voulez qu'on s'intéresse à vous et vous repoussez les médias !" Ultime banderille verbale décochée par Monsieur J avant que les deux hommes ne se quittent.

Bravo Monsieur B, vous ne vous êtes pas laissé marcher sur les pieds, malgré l'attitude irrespectueuse et lamentable de Monsieur J, indigne selon moi d'un journaliste (d'un soit-disant ex-journaliste du quotidien L qui plus est).

Lorsque nous communiquons avec les autres, nous journalistes et photographes, sommes les ambassadeurs de notre profession - une profession malade, au chevet de laquelle il faut se relayer -, et par conséquent, il me semble que nous nous devons d'agir avec tout le respect que nous devons à autrui, quels que soient son sexe, sa couleur, son origine, sa profession, son orientation sexuelle, son lieu d'habitation, son accent et ses opinions politiques. Tout manquement à ce respect nuit à la fois au journaliste irrespectueux et à l'ensemble des journalistes, y compris aux plus respectueux d'entre nous, et à toute la profession. Lorsqu'un seul journaliste fait mal son travail - lorsqu'il parle mal à son interlocuteur, déforme ou trahit ses propos, lui ment, ne respecte pas ses engagements, etc. -, ce sont tous les journalistes qui en pâtissent et qui aux yeux de chacun font mal leur travail. De ce qui peut paraître comme une évidence, il faut à mon avis être plus que jamais conscient.

LM

 

[1] tout ce qui est considéré comme trop choquant, à savoir "l'enfer", terme du jargon journalistique désignant l'information que l'on décide de ne pas passer dans les journaux et qui est soit détruite, soit remisée dans les archives.

[2] Monsieur J a-t-il réellement travaillé pour le quotidien national L, comme il l'a prétendu ? C'est un point sur lequel je ne manquerai pas de revenir un peu plus tard.

[3] Le lectorat du magazine C est en majorité composé de jeunes âgés de x à x ans.

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6 juin 2006

En préambule

Deux sentiments ont présidé l'ouverture de cette tribune libre : l'indignation et la consternation. L'indignation d'une part, après avoir eu l'occasion, pendant les manifestations contre le CPE, de voir mes petits camarades de jeu travailler ; et la consternation d'autre part, en constatant avec effarement à quel point la presse, notamment celle que je connais le mieux pour y travailler, la presse écrite, déraille à un train d'enfer.

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